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Deuxième partie

8 Juin 2019, 17:03pm

Publié par Lino Pereira

Deuxième partie

Il me faut faire une rectification sur le chapitre précédent. Philippe, mon ami qui vit au Cambodge et que je présente dans un texte sur le Cambodge m’avertit qu’il y a bien plus de dix jours de congé. Il y a vingt six jours fériés et un jour par semaine de repos. Ce qui fait soixante dix jours par an auxquels viennent s’ajouter un jour par ci par là offert par le père de la Nation pour permettre aux ouvriers de se rendre dans leurs villages et pouvoir assurer les cérémonies des morts, des mariages, des jours de l’an et des fêtes en l’honneur du roi. 

Comparativement, en France, nous en avons environ 160 : environ 35 de congés payés + 104 le week-end + 11 jours fériés + les ponts et les RTT. 

Voici donc la suite, très tardivement, mais je vais essayer de me rattraper.

Deuxième partie

J6

Mauvaise journée.

Je n’ai pas dormi, poussé par je ne sais quelle énergie imbécile, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, pris une mauvaise décision et perdu des affaires.

J’ai été hébergé à Lasbinals, dans une maison ancienne qui a été rénovée pour recevoir les pèlerins. C’est une maison-rocher. Ses murs de granit gris font plus d’un mètre d’épaisseur, c’est peut-être ça qui a empêché le sommeil d’arriver. 

Je me suis trompé de chemin assez vite après mon départ du gîte et j’ai dû rebrousser chemin pour retrouver le GR 65

 

L’Aubrac est insaisissable, tout s’échappe du cadre et fuit loin de chaque côté.  Il n’y a pas de point de fuite, quelques lignes dessinées par les rochers toujours lointaines. Des cours d’eau serpentent sans limites sur le causse en formant de loin en loin des zones de tourbières. L’espace se trouve indéfini par sa grandeur. Un espace infini ponctué par des lignes de pierres et des rochers de granit. Il s’en dégage une force qui vous porte, mais le froid et le décalage de la saison  donne une impression d’intemporalité, on ne sent pas passer les heures.

Deuxième partie

J7

En une étape, je suis passé de l’hiver au printemps épanoui. Du vent glacial et des bourgeons naissants aux fougères vertes, aux châtaigniers en feuilles, aux verts flamboyants. 

33 km après l’Annexe d’Aubrac et environ 800 m plus bas. 

Je pensais m’arrêter à mi-parcours mais je n’ai pas trouvé d’hébergement et j’ai dû continuer jusqu’au gîte qui pouvait m’accueillir, à Saint Côme d’Olt. C’est une villa où les propriétaires louent les chambres qui ont été habitées par leurs enfants qui ont quitté le nid.

Il y a un clocher tors, prouesse de compagnon du devoir, le cône à huit faces subit une torsion sur  son axe vertical et donne l’impression d’être légèrement penché, comme les chapeaux de sorcières d’alloween, qui s’en sont sûrement inspirées. 

 

Le temps de rien. Quand on fait des longues distances, on est préoccupé par le but et on est rivé au sol. Beaucoup de marcheurs font le chemin de cette façon, soit parce qu’ils ont’ peu de temps et qu’il veulent absolument faire la distance qu’ils se sont programmée, soit qu’ils privilégient le sport, le dépassement de soi, etc.

D’autres, mais ils sont peu nombreux, font pénitence. Ils traînent leur poids de crucifix en calvaire et s’arrêtent pour faire une petite prière dès qu’ils aperçoivent une croix. J’imagine que leur cerveau est occupé à ça tout le long du chemin. Le curé du Puy n’imagine pas le pèlerinage autrement : il propose des chapelets aux pèlerins pour qu’ils puissent l’égrener en priant pendant qu’ils marchent.

 
Deuxième partie

 

J8

Je me suis arrêté à Estain, au gîte Saint Christophe. Il est tenu par un portugais et sa femme, il s’appelle Dos Santos. Lorsque j’ai vu son nom, je me suis dit. Il faut que je dorme là : c’était le nom de mon grand père et mon père mais il ne me l’a pas transmis. L’état civil portugais donne le nom du père et de la mère, chaque portugais possède ces deux noms et choisit celui des deux qu’il transmet. Mon père m’a transmis son deuxième nom : Lino. Et j’en suis très content, je n’aimerais pas m’appeler Dos Santos. Je lui ai parlé immédiatement en portugais et j’ai appris qu’il venait de la même région que mes parents, près de la ville où ils allaient à la foire : Trancoso, une ville ancienne avec des murailles du 14e siècle. De la famille très lointaine, donc. 

Estaing est une petite ville moyenâgeuse, on a l’impression que rien n’a changé depuis mille ans, à part la propreté et le nombre d’habitants, tout est ancien. Elle fut une ville dynamique par le passé mais aujourd’hui son économie principale c’est le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle. 

 

À la table du petit déjeuner, je rencontre les pèlerins que je n’ai pas vu la veille et qui ont dormi dans un dortoir différent du mien. 

Il y en a quatre : trois sœurs et le mari de l’une d’entre elles. La télé diffuse les informations de BFM, les violences du premier mai avec les Black blocks, les ultra jaunes, les tortues ninja et Castaner qui insiste sur le fait que les forces de l’ordre ont sauvé de la destruction, il dit bien « sauvé de la destruction » un hôpital que des voyous jaunes ont voulu détruire délibérément.

L’ainée des trois sœurs s’offusque que ces voyous se mettent à détruire des hôpitaux, et que ces manifestations continuent alors que le gouvernement a cédé à leur revendications. À quoi je réponds que l’état n’a certainement pas répondu à leurs demandes sinon ils ne manifesteraient plus et que que dans la violence il y a toujours des dommages  collatéraux. Face  à un pouvoir sourd et méprisant, il est logique que la violence survienne. À quoi elle me répond qu’il y a des pays où on est bien plus malheureux qu’en France, qu’on ne peut pas tout le temps donner, qu’ils doivent rentrer chez eux et surtout pas attaquer un hôpital qui est un lieu sacré.

Je lui rétorque que nous devons une bonne partie de notre confort à la misère des pays où ils sont plus malheureux que nous, que nous portons des vêtements qui sont faits par des gens en état d’esclavage et des enfants, entre autres et qu’il n’y a pas de quoi être fier que la misère de ces gens fasse notre richesse. Nous sommes restés en froid.

Deuxième partie

J9

Je suis arrivé à l’accueil chrétien du Soulié de saint Jacques, chez Michel vers 15 heures. Environ un kilomètre et demi avant Espeyrac. Il est constitué de plusieurs bungalows qui hébergent chacun entre six et huit personnes, à flan de montagne dans la nature généreuse de l’Aveyron. La pèlerine du matin était déjà arrivée avec ses sœurs et en me voyant elle s’es écriée qu’il était écrit que l’on devait se revoir, pour continuer notre discussion du matin. 

 

Rapidement le ton est donné. Je m’installe autour de la grande table du bungalow commun qui est à la fois la cuisine, la salle à manger et la résidence de l’hospitalier, il est clair que je suis dans un gîte où l’accueillant est très croyant, que toute la tablée est croyante et pratiquante et que je ne pourrai pas échapper à quelques bondieuseries. On m’annonce le programme : avant de manger il y a une conférence sur le tympan de l’abbatiale de Conques, et on attend un moine qui nous fera probablement une messe. Rien n’est encore confirmé puisqu’on l’attend depuis quelques heures. Il arrive bientôt avec deux nouveaux hospitaliers qui doivent prendre en charge le gîte dès le lendemain, pour permettre à Michel de partir se reposer quelques jours.

C’est un gîte en participation libre, c’est à dire qu’il offre le gîte et le couvert, dîner et petit déjeuner, pour un prix qui reste à l’appréciation du pèlerin : on donne ce qu’on veut.

 

Alors que je termine de me servir un verre d’eau entrent trois personnes, deux hommes d’âge mûr qui seront les deux hospitaliers, et un moine avec une tonsure à la saint François, portant robe de bure, chapelet à la ceinture et sandales aux pieds, la fin de l’après midi est fraîche et pluvieuse. Il y aura donc une messe. Michel est très fier de la petite chapelle qu’il a construit sur son terrain, en bois et tuiles en lauze, avec un autel à base de traverses de chemin de fer retravaillées, achetées, confirme Michel, qui nécessite la force de trois hommes pour être déplacé. C’est la première chose qu’a demandé le moine, qu’on déplace l’autel contre le mur. Ensuite, Michel nous fait l’explication du tympan de Conques en promenant une baguette sur une photo, du jugement dernier au paradis et à l’enfer, de la vierge au fils-Dieu dans l’olive qui est la résultante de deux cercles qui représentent le monde des hommes et le monde de l’au-delà. Tandis que les hommes sont nus et se bouffent entre eux, dans l’au-delà tout est beau, ils sont riches, bien habillés, en paix, et .... tranquilles. 

Par quelque côté que ce soit on en revient toujours à la même chose : renonce, soumets toi, sois malheureux, tout ira super bien quand tu seras mort et au paradis. Et dis toi que c’est bien comme ça : puisque les premiers seront les derniers, quand tu seras mort tu seras riche comme les riches et eux seront pauvres comme toi maintenant, ce sera bien fait pour eux. Ah ils croyaient tout avoir et ben non, après la vie c’est l’éternité et si t’as été bien pauvre et bien obéissant, que tu n’as pas contesté et bien tu seras riche après la mort, pour l’éternité, alors que pour eux ce sera fini, ils seront pauvres pour l’éternité, eux.

Pendant ce temps le moine prépare son autel et viendra nous chercher le moment venu. C’est Dominique, un pèlerin, qui est allé voir où le moine en était et qui nous invite à le suivre jusqu’à La Chapelle. Ça tombe bien, Michel finit juste ses explications qui étaient parfois très approximatives et que Dominique cherchait à rendre cohérentes en posant des questions rationnelles à propos de quelque chose qui ne tient pas de la raison et qui tire sa force du mystère induit par le flou des non réponses. La croyance est faite d’affirmation sans preuves, de questions sans réponses, de projections de soi, d’imaginaire orienté sur des fables romanesques qu’on dit être la vérité. 

 

Je vais donc à la messe avec les autres, voulant tout voir, ne rien bouder, expérimenter. Nous sommes une dizaine, les autres sont restés préparer le repas.

Frère Fidèle Marie,  de son vrai prénom, Jean Christophe, est debout en habit d’apparat, chasuble, étole brodée, devant l’autel décoré de lin brodé de fil d’or, la bible (ou le missel) ouverte sur un petit chevalet. Il se tient les bras en croix et prie le dos tourné. Pratiquement toute la messe se passe comme cela, il psalmodie en latin et se retourne de temps en temps pour faire un petit geste et dire « dominus vobiscum » et on répond « et con espiritu tuo ». À côté de moi la plus fervente catholique, à genoux avec un voile sur la tête, se cogne la poitrine en marmonnant culpa, culpa, maxima culpa, tandis que les autres se tiennent debout les yeux baissés et les mains jointes dans une attitude de recueillement.

Comme à toutes les messes, il y a la lecture d’un chapitre des évangiles en français, cette fois, et Fidèle Marie nous explique, en regardant nos pieds, que tout ce qui compte c’est l’espoir, que ce que le monde a besoin c’est d’espoir il n’y a qu’à voir ce qui se passe en ce moment avec les gilets jaunes pour s’en convaincre.

Y a-t-il un rapport, vraiment?

Comme a la messe du Puy, le curé lit une parabole et l’explique avec des exemples du moment et dit par la même occasion comment il faut penser la politique en tant que chrétiens, rejeter la contestation, se soumettre, obéir, abdiquer, espérer. Moins traditionaliste, lançant souvent des  apartés au second degré, le curé du Puy expliqua la parabole des compagnons d’Emmaüs en démontrant que les résistants étaient d’abord des terroristes (pour les allemands), et que les collabos n’étaient finalement que des gens comme tout le monde qui s’occupaient simplement de vivre leur vie en profitant de ce qu’elle leur offrait, quelle était leur faute au bout du compte? L’important n’était pas ce que les compagnons désiraient, la libération de la Palestine du joug romain, mais le mystère de l’apparition/disparition du Christ, qui projetait leur espoir dans l’au-delà, dans la vie éternelle qui ne manquera pas d’arriver après la mort.

 

Après la messe, tout le monde passe à table. Il y a une grande convivialité dans ce refuge, beaucoup de chaleur humaine, on est tous autour de ma même grande table, serrés, et le repas est très généreux. On parle surtout des étapes qu’on a fait, de la difficulté et de l’émerveillement de baigner dans la beauté de la nature, des histoires qui vont plus vite d’un refuge à l’autre que les marcheurs, et, pour respecter le rituel qui anime les soirées du refuge du Soulié, chaque pèlerin se présente à la fin du repas et dit son prénom, ce qu’il fait, et finit par ce que Michel appelle « l’état de sa météo intérieure. »

 

Le premier était contrôleur à la sncf, maintenant en retraite, il est très fier d’avoir transmis son savoir faire à son jeune successeurs et il s’émerveille de la beauté du chemin et des rencontres qu’il y fait.

Le deuxième à fait le séminaire quand il était jeune mais il a préféré le quitter après le bac pour faire de l’informatique plutôt que devenir curé. Merveille du chemin, joie d’être à la retraite et d’avoir le temps qu’il n’a jamais eu,  et fierté d’avoir organisé l’événement audiovisuel autour de la venue du pape à Orléans.

Le troisième et quatrième sont un couple de vieux paysans qui on vendu la ferme à un jeune couple, eux aussi, ils profitent de la liberté qu’ils n’ont jamais eu. Ils sont catholiques pratiquants, comme les deux premiers et comme tous ceux qui suivent jusqu’à moi.

Je me répétais au fond de moi que j’allais en dire le moins possible en me sentant déborder de rage devant l’absurdité de la messe, des sermons, des fourvoiements. Placer sous le signe du mystère toutes les contradictions qu’ils ne veulent pas résoudre. Ils veulent expliquer leur croyance de façon logique en se persuadant avec ce qui constitue leur intérêt, que le reste n’a pas d’importance, que ce sont au mieux des erreurs, au pire des fautes. Mais eux, ils ne font pas d’erreurs, ils sont dans la voie du Christ.

Je leur dis donc que je suis sceptique, que je ne comprends pas les relations qui sont faites entre les symboles et la réalité, que la religion n’est que spectrale, littérature, chants et décors, que j’admirais les architectures et tout ce qui se trouve dans les églises en tant qu’ouvrage humains et que Dieu lui même n’est rien d’autre qu’un concept d’artiste. Que c’est l’homme qui a fait Dieu et non l’inverse. Que l’église n’a été qu’un système de pouvoir et qu’elle le reste. Puisqu’ils se servent des écritures pour transmettre une façon de penser le quotidien, la politique, qui induit leur façon de voter. 

 

Je suis certain qu’ils ont tous voté Macron, il est la figure idéale des chrétiens, il est Jesus chassant les marchands du temple.

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