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Troisième partie

8 Juin 2019, 18:50pm

Publié par Lino Pereira

Troisième partie

J11

Frère Fidèle-Marie a tenu à m’accompagner jusqu’à Conques, il pleuvait légèrement. Je porte le sac à dos, la cape de pluie, mon chapeau, et je marche avec des chaussures de montagne haut de gamme.

Mon curé se couvre d’un parapluie, porte son même habit été comme hiver et marche avec des sandales qu’il a sans doute fait lui-même. Il est venu me convertir, ma ramener à Dieu.

Je lui ai dit que je voulais seulement croire à la vie, Dieu est un concept humain.

Des écrivains lui ont créé une histoire, des architectes lui ont construit des maisons, des peintres et des sculpteurs les ont décorées et les curés sont venus y faire leur spectacle.

De l’art, Dieu est un concept d’artiste dévoyé par le pouvoir.

 

Ce pouvoir a une influence immense, il fait élire tous les puissants de ce monde. Les évangélistes ont fait élire Trump et Bolsonaro. En France, Macron a exploité les codes chrétiens, il a promis de chasser les marchands du temple et de tout changer sans rien dire de concret. 

Il commença sa campagne bien avant les autres, en dehors du système, financé par le privé : patrons des grands médias, industriels, banquiers, marchands d’armes. Les médias s’efforçaient de ne pas poser de questions qui fâchent, ils n’ont jamais parlé du financement, je me souviens d’une seule fois où un journaliste lui a posé la question et Macron a répondu qu’il finançait sa campagne avec les droits d’auteur du livre qu’il a écrit. Personnellement je ne connais personne qui l’aie lu, et il lui aurait quand même rapporté seize millions d’euros. Il devrait y en avoir au moins un dans chaque foyer en France pour qu’il ait fait un tel bénéfice.

Il n’avait pas de programme et demandait la confiance, capitalisant sur son âge en se posant en candidat anti système , jeune et dynamique, qui n’est adhérent d’aucun parti et qui ne prendra que des gens compétents une fois à la tête de l’État. 

 

Avec l’aide des médias, trouvant des scandales aux uns, discréditant les autres en les moquant et en relevant tous les arguments des opposants, les vieux partis étaient ringardisés, il n’y avait plus qu’à les enterrer. Jésus Christ a chassé les marchands du temple, Macron a chassé la politique pour installer les affaires.

 

Fidel Marie est disciple de monseigneur Lefèvre, il est contre la « libéralisation » de l’église qu’ils appellent le concile Vatican 2, considère que tout ce qui est mauvais dans ce monde est provoqué par les juifs qui ont tué le Christ. Il vit dans un tout petit monde et tout moine qu’il soit avec sa robe de bure et ses sandales, je serai prêt à parier qu’il n’a pas lu la bible dans le texte.

 

Je suis ébranlé par tout ça. Dans ma quête et dans mes projets. En partant II me semblait cohérent de faire tout ce chemin à titre d’entraînement,  de réflexion pour la suite de mon projet personnel.

 J’ai décidé de réaliser mon vieux projet de cercle sans savoir encore tout à fait comment. L’écriture me paraît le moyen le plus évident mais je ne me sens pas encore assez écrivain pour pouvoir prétendre à faire œuvre avec cette ligne. Je me suis demandé ce que je faisais dans ce pèlerinage pour la première fois après la soirée au Soulié. Visiblement j’étais le seul « hâtée » de cette assemblée, ou du moins le seul à se poser des questions sur ce qui est dit et le sens de ce qui se dit. 

Il est difficile de se dire hâtée quand on a trempé tout petit dans cette foi, traditionaliste, il y a cinquante ans. Comme le capucin, le curé de mon village faisait la messe en latin, était antisémite et nous enseignait que rien n’échappait à Dieu, il demandait des comptes pour tout, il était partout, voyait tout, consignait tout, et te tuait au cas où tu étais pris en faute. Tout comme la police politique : la PIDE.

L’état fonctionnait sur ce schéma, et les paysans marchaient en baissant la tête sous leur chapeau, évitaient de parler quand ils avaient envie de contester, se méfiaient du moindre inconnu qui pouvait être de la police politique, subissaient les excès de pouvoir de la garde civile et des fonctionnaires, et explosaient quand ils se trouvaient entre les quatre murs qui leur servait d’abri sur leur femme et leurs enfants. 

Une violence inévitable, construite et entretenue par tout l’environnement. Et qui se développe et s’alimente avec la frustration et le refus.

Fidel Marie n’avait sans doute jamais autant marché et dans les conditions difficiles du chemin. Au milieu de l’étape, l’une de ses sandales s’est cassée. Il a fait le reste du chemin avec la sandale cassée à la main en boitillant. 

À conques nous avons rencontré Dominique, le pèlerin informaticien, qui a négocié avec « la malle postale » pour qu’ils ramènent frère Fidèle Marie au gîte du Soulié, gratuitement. 

 

Troisième partie
Troisième partie

J12

J’ai dormi dans l’abbaye de Conques, elle héberge environ quatre-vingt personnes dans des grandes pièces qui servent de dortoirs. On y dort à vingt personnes.

Au repas la plupart des pèlerins du Soulié étaient là. Je me suis assis à une table où je ne connaissais personne.

Quand j’ai dit au Soulié ce que je pensais de la croyance, ils ont tous ouvert de grands yeux, certains étaient rouge de colère contenue, et le moine a décidé de m’accompagner suite à cette discussion qui les a remués et moi aussi. Je ne savais pas comment appréhender les retrouvailles et je n’avais pas envie de rediscuter avec eux. 

Dans mon coin de table il y avait trois randonneurs de Toulouse, trois amis qui viennent marcher une semaine sur le chemin.

Quand la salle a commencé à se vider, plusieurs pèlerins du Soulié sont venus me saluer, et quelques minutes plus tard, j’en ai rencontré une autre dans les escaliers de l’abbaye qui m’a dit qu’ils avaient beaucoup parlé après mon départ de table et qu’elle leur avait dit que s’il y avait un vrai chrétien ce soir là à table c’était moi. Je n’ai pas encore bien compris ce qu’elle a voulu dire mais du moins, l’hurluberlu ne les a pas laissés indifférents.

Troisième partie

J16

J’ai retrouvé le chemin laïque. Beaucoup de pèlerins sont croyants bien sûr, mais il n’est plus question de religion et encore moins de prosélytisme. 

Je me suis arrêté hier au mas de Jantille, (il s’appelait en fait « mas Gentille » mais une faute d’orthographe au cadastre a changé son nom en Jantille) nous étions dix dont la moitié d’allemands, une irlandaise de sud Irlande et quatre français. Il est tenu par un couple de pèlerins allemands qui ont acheté une ferme à l’état de ruine et l’ont restaurée pour y loger et accueillir des pèlerins, encore deux qui ont fait le chemin et y ont trouvé leur mode de vie. 

C’est un endroit agréable avec de grands espaces conviviaux. Nos hôtes nous donnent rendez-vous à 18h pour partager un rosé pamplemousse et faire connaissance. 

J’ai retrouvé son aspect laïque mais aussi l’aspect Babel. Il y a trois idiomes autour de la table : les allemands en majorité, ils comptent pour la moitié des pèlerins et Georges, l’hospitalier, est ravi de pouvoir parler sa langue maternelle. Il réclame la place en bout de table et les quatre allemands l’entourent. Vient ensuite une Irlandaise, un australien, et les autres sont français.

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C
Atrocement belle était la nuit : je jouais avec le silence. Et ce fut le geste du premier homme mesurant la Terre.<br /> Supposons maintenant que la plaie soit dans le fer, que l'horreur soit dans le jour qui va luire, oh ! alors ! le plus grand poète ne sera plus qu'un embryon de souris. Comment sortir de la prison ! Comment sortir de la misère, ô Dieu, infinie corruption.<br /> Je me lève. Je n'ai plus de passé ; ce qui me manque, je le donne. Et voici la lumière, qui fait paître les cyclone, au bout de la longe. Et voici mon cercle, trajectoire de l'esclave.<br /> La rivière sur les pierres sont des gerbes déliées, des amours éparses, des épis abandonnés.<br /> Il fait gris dehors, dedans ; la folie m'entoure...<br /> Big bisous Pedro
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L
Merci pour ce poème. Sombre et beau. Parfois les plus belles choses sortent de la folie. Elle les engendre et les fait fleurir. On doit sûrement faire un tour dans ses champs, ses chants, pour cueillir et garder une éphémère beauté. <br /> Bises